Belles morts… ?

Il y a de cela quelques semaines, un de mes collègues, urgentiste à domicile dans une autre ville, a été vivement (et injustement) critiqué sur les réseaux sociaux suite à la diffusion d’un reportage télévisé où il apparaissait. Dans cette émission, une consultation urgente qui avait donné lieu à l’euthanasie d’un chien, qui avait duré sans doute entre 45 minutes et 1h30 en réalité, avait été résumée par une séquence de… 2 minutes 30.
On ne peut pas résumer la réalité de l’euthanasie en 2 minutes 30. On ne peut probablement pas la résumer tout court : c’est un sujet immensément complexe, sur lequel il n’existe pas de généralité, que des cas particuliers… Très particuliers parfois. Souvent c’est un thème porteur d’immenses douleurs, pour le propriétaire bien sûr, mais aussi pour le vétérinaire. Nous sommes en France la seule profession autorisée à donner activement la mort à un être vivant, lequel est souvent considéré comme un membre à part entière de la famille.

On ne peut pas résumer la réalité de l’euthanasie en 2 minutes 30.

Bien sûr, le vétérinaire ne peut pas vivre chaque euthanasie comme s’il s’agissait de son propre animal. Certains parlent de blindage, ou de carapace : la vérité, c’est que c’est un réflexe logique de survie. Lorsque j’ai perdu mon premier chat, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’ai mis des jours à perdre l’habitude de tendre la main à côté de ma chaise le matin – parce qu’il avait l’habitude de venir se frotter à moi, c’était notre petit rituel pour adoucir le réveil. J’ai mis des mois à ne plus penser à lui quand je m’endormais seule, sans une boule chaude calée contre mes jambes. Est-ce que je pourrais me mettre dans un état pareil à chaque fois que je suis amenée à pratiquer une euthanasie ? Non. Je m’enfoncerais rapidement dans la dépression, dans un chagrin sans fond qui n’aiderait ni mes patients, ni leurs propriétaires.
Pour autant, ne commettez pas l’erreur de croire que je suis insensible à votre douleur, vous que j’ai croisé alors que votre animal tant chéri était blessé, malade, au bout du rouleau, complètement épuisé. Alors qu’il souffrait, parfois depuis des heures, parfois depuis des mois. Vous dont j’ai caressé l’animal en lui parlant comme si c’était le mien, parce qu’une fois l’anesthésie passée, vous me disiez, et je vous comprenais, que vous ne vouliez pas voir la piqûre finale.
Je n’ai jamais laissé un animal mourir seul. Même ceux qui m’ont griffée parce qu’ils avaient peur, même ceux que je connaissais de longue date pour les avoir vaccinés / soignés / aidés, autant que possible. Jusqu’à ce jour où je ne pouvais plus les aider. Je ne les laisse jamais partir seul, parce que je compatis avec votre douleur. Parce que je sais que vous préféreriez rester avec eux jusqu’au bout, mais qu’on est obligé de se préserver soi-même quand on sent qu’on va craquer. Parce que vous vous êtes dit, et vous n’aviez sans doute pas tort, qu’il valait peut-être mieux que Nougat / Princesse / Domino ne vous voit pas fondre en larme, parce que ça lui ferait peur.
Alors vous embrassez une dernière fois votre animal, votre ami. Parfois, vous l’appeliez votre bébé. Mais aujourd’hui, plus personne ne peut rien pour lui. Ni vous, ni moi. A part pour le soulager une dernière fois, et lui assurer de partir tranquille. Vous l’embrassez, il est déjà sous les effets d’un anesthésiant puissant, et à ce stade il se rend à peine compte de votre départ, car lui est déjà loin, si loin sur le chemin. Un dernier mot. Une dernière caresse. Et vous me laissez avec lui, vous me donnez la plus grande preuve de confiance au monde. Vous me laissez l’accompagner.
Aujourd’hui je veux parler de ces morts qui ne laissent personne indifférent. Que l’on soit pour ou contre, qu’on ait eu l’occasion d’en vivre une ou non.
Euthanasie vient du grec, « eu », bon, et « thanatos », la mort.
Euthanasie, la bonne mort ?
Au travers des épisodes suivant, que je publierai ici, je vous invite à y réfléchir, toujours avec compassion, humilité, et respect.
Parce qu’on ne peut pas aborder le sujet de l’euthanasie autrement. Parce que carapace ou pas, blindage ou pas, sachez que pour chacun de vos animaux que j’ai aidés à mourir, pour chacun d’entre vous, propriétaires, que j’ai laissés un peu plus seuls qu’à mon arrivée, j’ai versé une larme. A l’intérieur.

Photo by tipiro on VisualHunt

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